La démocratisation de la technologie et sa large diffusion a favorisé non seulement le travail à distance, mais a aussi facilité l’automatisation progressive d’une grande partie des tâches routinières qui définissaient traditionnellement le travail de beaucoup de personnes. Cette évolution redéfinit fondamentalement la signification du travail et le rôle de l’employé dans l’organisation. De plus en plus, ce dont les entreprises ont besoin, c’est de la créativité des collaborateurs – et comme nous l’avons dit plus haut, les personnes sont plus créatives lorsqu’elles sont ensemble et peuvent partager des moments humains. C’est pourquoi nous avons besoin du bureau. Mais les bureaux de demain devront être très différents de ceux auxquels nous sommes habitués. Voici trois caractéristiques qui définiront les bureaux de demain :
Les open-space low cost, qui par définition étaient pensés dans une optique de réduction des coûts sont désormais dépassés. On sait qu’ils ne correspondent pas pleinement à l’efficience au travail car ils nuisent au moral, à la collaboration et à la productivité. La nouvelle approche des espaces de travail est plutôt d’établir un équilibre entre l’ouverture et l’intimité, en incorporant des éléments de conception qui permettent des interactions sociales de toutes sortes, qu’il s’agisse d’une discussion rapide au coin d’un escalier ouvert ou d’un bavardage près du comptoir de la cuisine ou de la machine à café. Parmi ces éléments, on peut imaginer une pièce comme une alcôve où quelques personnes peuvent peaufiner une présentation ou une table haute où deux personnes peuvent se tenir pour une réunion impromptue et être rejointes par un collaborateur qui passe par là, les entend et s’arrête pour poser une question.
Une fois de retour au bureau, les travailleurs peuvent se sentir obligés d’être en réunion ou sur leur ordinateur en permanence. Dans ce cas, les leçons positives de la pandémie auront été perdues…
En début de notre article précédent sur « le bureau de demain sera hybride« , nous évoquions comme exemple celui de la Maison olympique du CIO. Celle-ci, construite initialement dans le but d’humaniser le travail, présente de nombreuses caractéristiques de ce type. Au cours du siècle qui a suivi sa création, le CIO s’est développé pour occuper quatre sites à Lausanne. En 2012, ses dirigeants ont remarqué que cette fragmentation nuisait finalement aux relations entre ses quelque 400 employés. Même si la nature du travail impliquait que les gens voyagent beaucoup et travaillent souvent à distance, les dirigeants du CIO étaient convaincus qu’un seul et même lieu d’attache était essentiel pour créer un sentiment de communauté qui favoriserait le bien-être des employés et des parties prenantes et, surtout, offrirait des moments humains permettant d’instaurer la confiance et de stimuler la créativité.
En l’espace de quelques mois seulement, la Maison olympique est devenue, comme l’a dit un responsable du CIO, « un endroit où il fait bon venir tous les jours, où l’on se nourrit de l’énergie des autres« . Sa conception favorise les rencontres formelles et informelles, modifiant profondément la façon dont les équipes interagissent. Par exemple, son grand escalier central, en forme des cinq anneaux du symbole olympique, oblige les personnes de différents départements à se rencontrer sur le chemin de leur bureau et les encourage à s’arrêter et à discuter. « Ces espaces autour de l’escalier », explique un responsable du CIO, « sont remplis de canapés et de coins café où vous aimeriez passer cinq ou dix minutes à discuter avec vos collègues des points ouverts que vous devez aborder, plutôt que d’envoyer de nombreux e-mails. Et cet élément humain est au cœur de ce que nous faisons ».
Les concepteurs ont également accordé une attention particulière à l’acoustique. Dans les zones où se trouvent les bureaux – répartis selon un schéma hôtelier – les sons sont atténués par des tapis et des matériaux absorbant les sons au plafond et dans le mobilier. Près de l’escalier central et dans d’autres zones destinées à la convivialité, les architectes ont délibérément utilisé des matériaux moins absorbants pour créer un effet « intérieur de café/bar et attirer les gens à discuter et à se rencontrer.
Ce genre de détails a son importance. Ne croyez surtout pas que les discussions à la machine à café sont une perte de temps et de productivité. Elles renforcent les relations sociales grâce aux discussions qui s’avèrent être in fine le fruit d’une collaboration précieuse et du bien-être des collaborateurs. Ne soyez donc pas trop prompt à vouloir retirer la machine à café de votre espace pour augmenter le temps de travail. Le résultat n’en serait que contre-productif.
La technologie nous a permis de ramener à la maison le travail que nous pouvons faire plus efficacement par nous-mêmes. Elle peut également nous aider à mieux comprendre notre mode de fonctionnement social, et cette compréhension peut conduire à une conception et une utilisation plus efficaces des espaces sociaux physiques.
Silverstein Properties, une société de développement et de gestion immobilière de la ville de New York, en est un bon exemple. La société a créé une plateforme basée sur l’IA appelée Dojo, qui suit les mouvements des personnes pour alimenter un système de notation basé sur des données qui génère des agencements de bureaux et des plans de table afin de maximiser la probabilité d’interactions informelles fortuites.
Dojo permet aux utilisateurs de créer des profils de collaboration pour les individus, les équipes et l’organisation dans son ensemble. Certains secteurs et fonctions exigent une plus grande proportion de travail indépendant que d’autres. Cela permet aux entreprises de regrouper les employés par style de travail, en utilisant des mesures telles que le pourcentage de temps passé en réunion, la quantité moyenne de temps libre entre les réunions et la répartition des réunions au cours de la journée. Le résultat est une sorte d’organigramme non hiérarchique qui peut aider les responsables à trouver des moyens d’utiliser les espaces physiques et la technologie de l’entreprise pour créer davantage d’opportunités de connexion pour les employés.
L’un des locataires de Silverstein, une entreprise technologique de plus de 400 employés, a utilisé les informations fournies par Dojo pour réaménager ses bureaux. La plateforme a montré que si le locataire redistribuait son personnel en fonction de « quartiers » interdépartementaux, il pourrait améliorer la collaboration et réduire son empreinte immobilière. L’entreprise a également constaté que personne n’utilisait les petites pièces, destinées à assurer la confidentialité, qui étaient situées loin de l’endroit où la plupart des gens s’asseyaient. Les employés passaient plutôt leurs appels privés dans le hall des ascenseurs. Elle a donc supprimé les petites pièces et installé des cabines téléphoniques dans le hall. Après avoir effectué ces changements, l’entreprise disposait de 20 % d’espace supplémentaire par rapport à ses besoins, qu’elle a pu sous-louer.
La technologie peut également favoriser les relations entre les personnes travaillant à distance et les personnes au bureau. Et il n’aura pas fallu attendre l’arrivée de Skype ou de Slack pour ce faire. Déjà au milieu des années 80, des chercheurs de Xerox PARC avaient créé un espace média combinant des technologies vidéo, audio et informatiques pour favoriser les interactions sociales entre leurs laboratoires de Palo Alto et de Portland (Oregon). Cet espace permettait aux personnes présentes dans les salons des laboratoires et dans certains bureaux individuels de se connecter virtuellement. Des expériences similaires menées à l’EuroPARC de Xerox au Royaume-Uni, à Bellcore et à l’université de Toronto ont conclu que même une connaissance périphérique les uns des autres peut aider les personnes travaillant à distance à se sentir plus proches de celles qui sont sur place et vice versa.
La technologie doit-elle pour autant aller plus loin ? Tant que les employés peuvent voir qui est présent physiquement et qui est disponible virtuellement – ce qu’une technologie comme Slack par exemple peut faciliter – ils devraient être libres de créer leurs propres rencontres et moments de réflexion collaborative.
Les dirigeants d’entreprise doivent s’assurer que lorsque leurs employés viennent au bureau, ils sentent qu’ils aient la possibilité de socialiser et d’établir des liens avec leurs collègues. Ce n’est pas le tout de le dire mais encore faut-il créer les conditions idéales pour que cela deviennent le cas et en montrant l’exemple : ainsi les dirigeants doivent eux-même passer du temps dans les espaces communs et en participant à des événements sociaux.
Le cabinet de conseil en design Frog Design offre un bon exemple de ce que cela implique. Frog a des bureaux, ou « studios », dans le monde entier (y compris jusqu’à Toulouse), que l’entreprise utilise pour favoriser les liens sociaux et l’onboarding, c’est-à-dire enseigner aux nouveaux arrivants la culture de l’entreprise. Les rituels qui favorisent l’apprentissage informel abondent, qu’il s’agisse des réunions du lundi matin (au cours desquelles sont discutés des thèmes récurrents dans les projets et les secteurs d’activité, ou encore un nouveau contenu est partagé dans le cadre d’une présentation), des mercredis du bien-être (au cours desquels, par exemple, un cours de yoga peut être dispensé), de l’heure du café chaque après-midi ou des happy hours pour les membres de l’équipe et, occasionnellement, pour les clients.
Ces rituels sont autant d’occasions pour les jeunes employés et les employés plus expérimentés de se rencontrer, de partager des histoires sur les projets et la vie, et de demander des conseils de manière informelle. Le travail se déroule aussi bien dans le salon et la cuisine que dans les salles où les équipes de projet réfléchissent avec des tableaux blancs et des Post-it. Il est essentiel de voir ou d’entendre ces séances de travail, formelles ou informelles, pour apprendre les subtilités d’une bonne conception et gérer les relations avec les clients.
In-person collaboration was at the heart of @frogdesign's design process – until everything changed.
See how frog embraced Miro to push the boundaries of strategic thinking and bring back the magic of helping clients launch new products and businesses.https://t.co/Fp6LVUxeF5 pic.twitter.com/hvEa7g9qhq
— Miro (@MiroHQ) March 17, 2021
Lors des retours au bureau, il s’est avéré essentiel pour beaucoup d’éviter de confondre le temps de présence et la production réelle lors de l’évaluation des performances, afin que les gens ne pensent pas qu’ils doivent se montrer pour convaincre leur patron ou leur N+1 qu’ils travaillent dur. Déjà avant la pandémie, le présentéisme était un mal important qui touchait près d’un français sur quatre. Lorsqu’ils sont au bureau, les salariés ne devraient pas se sentir obligés d’être en réunion ou sur leur ordinateur en permanence. Si le retour au bureau n’est synonyme que de travail individuel et de réunions axées sur les tâches, les leçons positives de la pandémie auront alors été perdues, et les performances et la culture de l’organisation risquent d’être compromises.
Pour éviter cela, Adam D’Angelo, co-fondateur et PDG de Quora, a annoncé que l’entreprise n’adopterait pas une approche sélective à distance – dans laquelle les dirigeants ou certains groupes se rendent au bureau tandis que les employés ordinaires travaillent à domicile. Au lieu de cela, tout le monde – du PDG jusqu’au bas de l’échelle – travaillerait à domicile, mais chacun serait tenu de passer du temps au bureau également. L’intention, comme il l’a expliqué sur le blog de Quora, était « d’empêcher le bureau de devenir le « vrai » siège social« . Il a envoyé un signal clair aux employés de Quora : aller au bureau n’était pas un moyen d’impressionner son patron ; aux yeux de la direction, le travail à domicile était et resterait tout aussi légitime. En outre, lorsqu’ils sont au bureau, les dirigeants doivent donner l’exemple du type de comportements sociaux que les gens devraient adopter. Ils ne doivent pas passer tout leur temps en réunion, mais plutôt être avec les équipes et se montrer disponibles. Cela permet aux conversations et aux interactions de se produire naturellement au cours de la journée de travail.
Les possibilités de rituels non liés au travail (comme la méditation, le yoga ou d’autres formes d’exercices physiques) sont également un excellent moyen d’entretenir les relations et de signaler que le lieu de travail est axé sur la connexion. Bien sûr, les réunions en présentiel restent importantes, mais elles doivent être limitées afin qu’une journée au bureau ne devienne pas une journée de réunions – et elles doivent comporter des activités qui pourraient être difficiles à réaliser à distance (comme le brainstorming debout ou en se déplaçant autour d’une table, diverses techniques de post-it …)
De même, les entreprises doivent veiller à ce que leurs employés ne soient pas « toujours en ligne » si elles veulent susciter l’engagement et la créativité. Il n’est pas toujours facile de faire des pauses, surtout si les employés sont surveillés par des logiciels de surveillance ou gérés par des patrons qui privilégient le temps passé devant l’écran plutôt que la productivité… Les patrons et et cadres doivent désormais choisir la confiance plutôt que le contrôle.Faîtes comprendre qu’il n’y a pas de problème à prendre une pause déjeuner ou à reprogrammer une réunion à 8 heures du matin pour permettre à quelqu’un d’aller courir, de faire du Qi Gong le matin ou d’aller récupérer une commande au drive plus tôt le soir. Là encore, l’exemplarité est importante. Cela peut être aussi simple que de définir votre statut sur Slack ou un autre outil pour dire « Je suis sorti pour déjeuner » ou « Je suis en ligne toute la semaine sauf le jeudi ».
Alors que de nombreuses organisations autorisent les employés à travailler à distance au moins une partie du temps, il est bon de se rappeler que le travail collaboratif a une longue histoire. Les récents événements et notre expérience contemporaine montrent que les infrastructures, les technologies et les processus organisationnels sous-jacentes sont nécessaires mais pas suffisants pour une collaboration productive. Les personnes ont (et auront) toujours besoin de contacts personnels qui leur permettent de préciser leurs attentes, de clarifier les règles et les pratiques de travail, et d’instaurer ou de raviver la confiance. Dans un monde qui permet et favorise le télétravail à grande échelle, il est d’autant plus important de réunir les gens dans des bureaux pour répondre à ces besoins humains.